L’HEGP enfin fonctionnel ?
 

On a dit de lui qu’il était mal placé, qu’il n’ouvrirait jamais, et même, qu’il tombait dans la Seine. Vaille que vaille, l’Hôpital Européen Georges-Pompidou (HEGP) le nouvel établissement parisien super moderne situé près de la Seine dans le XVe arrondissement a surmonté les rumeurs et les aléas du chantier et s’apprête à ouvrir. Les premiers services médicaux emménagent cette semaine, à partir d’aujourd’hui lundi, le premier malade est attendu pour le milieu du mois et la première opération programmée pour début août. Soit beaucoup plus tard que prévu. Après plus de quatre ans de travaux et presque autant de palabres, Paris et la petite couronne vont donc découvrir enfin cet énième hôpital dont on dit qu’il est révolutionnaire. L’ambition de l’AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) étant d’offrir au malade une qualité de soins exemplaire, dans un nouvel espace plus moderne (conçu par l’architecte Aymeric Zublena), plus confortable, plus efficace et mieux adapté à la médecine hospitalière du XXIe siècle.

L’HEGP regroupera à terme, d’ici le mois d’octobre, les services de Boucicaut, de Broussais, de Laennec et de Saint Lazare, quatre hôpitaux parisiens qui offraient aux malades des locaux vétustes, voire peu sûrs (certains des bâtiments datent du XVIIe siècle) et qui, en plus, n’étaient plus adaptés aux nécessités de la médecine moderne. « La construction d’un nouvel hôpital était la solution la plus pertinente, assure Louis Omnès, le directeur de l’hôpital Georges-Pompidou Pour rénover ces anciens hôpitaux, il fallait un milliard de francs. C’était beaucoup d’argent pour un résultat qui n’aurait même pas été bon. Une telle rénovation n’aurait rien enlevé aux contraintes actuelles de l’architecture - qui conduisent parfois à transporter les malades sous la pluie d’un bâtiment à l’autre - et finalement n’aurait pas garanti la même fonctionnalité qu’un bâtiment neuf. En plus, en regroupant les services et les compétences dans un même et unique hôpital, on a pu se permettre de créer de véritables pôles avec les dernières technologies de pointe et justifier le coût de fonctionnement de ces plateaux techniques innovants. »

La construction de l’HEGP a du coup déclenché une véritable restructuration plus logique qui participe à la maîtrise des dépenses de santé : 412 lits excédentaires ont été supprimés (surtout du court séjour dans des secteurs à faible activité comme la chirurgie digestive ou la médecine vasculaire) en faveur de lits de moyen et court séjours renforcés dans les secteurs de l’orthopédie traumatologique, du sida ou des accidents vasculaires cérébraux.

Un nouveau concept

L’hôpital devrait coûter près de 1,8 milliard de francs (1,792 MF exactement) au lieu des 1,626 initialement prévus. Soit un dépassement évalué à 166 millions de francs, imputé à des défaillances d’entreprises, à la hausse de la TVA, mais aussi à des travaux d’adaptation, pour installer scanners et appareils de radiologie qui ne rentraient pas dans les pièces (!). L’opération est censée être entièrement autofinancée par la vente des trois terrains de Broussais, de Boucicaut et de Laennec, mis en vente dès le transfert de leur contenu, à partir de la fin de l’année. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris compte sur le concept même de l’HEGP, une meilleure gestion des lits et une plus grande efficacité, pour réaliser une économie de 130 millions de francs par rapport aux budgets des quatre établissements bientôt fermés.

Exemple : le service d’accueil des urgences est conçu pour prendre en charge jusqu’à 150 passages par jour - cela représente 35 % de plus que l’accueil dans les urgences des sites fermés.

Des équipements dignes du XXIe siècle

Plus innovant :
Des activités médicales regroupées en sept pôles, avec deux secteurs de référence ; la cancérologie et le cardio-vasculaire regroupant tous leurs services sur un même niveau pour plus d’efficacité et de rapidité dans le diagnostic ; un plateau technique exceptionnel avec 24 salles d’opération, ouvertes 24 heures sur 24 ; des innovations techniques comme la numérisation des clichés radio au lieu des films traditionnels et, unique en France, la robotisation du traitement de certains examens de routine, en biochimie et hématologie biologique, qui libère le personnel de tâches répétitives et fastidieuses et qui renforce la sécurité des examens.
Des hospitalisations courtes :
C’est la fin de « l’hospitalcentrisme », c’est-à-dire l’hôpital comme moteur du système de soins. L’HEGP a volontairement été construit comme un établissement qui ne peut fonctionner seul.
Des contrats ont été passés avec les hôpitaux environnants et la plupart des associations de soins et soutien à domicile. Par exemple, dans le cadre d’un « partenariat » avec l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne, un psychiatre sera toujours présent aux urgences de l’HEGP. La durée de séjour moyenne sera de six jours maximum.
Au sein de l’hôpital, une structure de coordination s’occupera, en relation avec les associations, d’offrir aux malades et aux familles un portefeuille le plus imposant possible de soins d’après hospitalisation. Un exemple ? Dès l’arrivée d’une personne âgée, on pense déjà à organiser sa sortie. Pour éviter que, perdue, elle revienne quelques temps après, de nouveau mal en point. A l’équipe de déterminer si sa famille sera là pour l’aider ou s’il faudra lui proposer des lieux de soins extérieurs.
Plus efficace :
Pratiquement plus une seule feuille de papier n’y circulera. Votre dossier sera entièrement informatisé, des résultats d’analyses aux radios qui serontnumérisées. Un dossier unique pour tous les services, accessible sur écran par le médecin dès, par exemple, que vous arriverez aux urgences. Il devrait également être accessible pour votre médecin traitant. La mise en route d’un tel système fait d’ailleurs craindre à certains des problèmes dignes de ceux de la bibliothèque François Mitterrand...
Plus confortable :
« Ce sera l’hôtel, sourit le directeur. On a créé un room service. De son lit, le patient pourra commander un journal, une télé, un repas en dehors des heures de distribution des plateaux, une coiffeuse. » Comble du luxe, 90 % des chambres sont individuelles et 15 % d’entre elles disposent d’un canapé-lit pour un membre de la famille.

Les couacs d’un projet vieux de huit ans

« Il s’agit d’ouvrir un hôpital pas un supermarché ! » lançait, il y a quelques semaines un proche de la direction en guise d’excuse à tous les mécontents qui attendent depuis plus de huit ans aux portes du futur hôpital. Depuis juillet 1992, date de l’annonce par Bernard, Kouchner, le ministre de la Santé de l’époque, de la construction dans le sud-ouest parisien d’un nouvel hôpital, l’histoire de l’HEGP est pour le moins rocambolesque. Débuté en novembre 1993, le chantier devait prendre fin en octobre 1998. À cause de la faillite de l’entreprise chargée des menuiseries extérieures, l’ouverture est repoussée en septembre 1999, mais cette fois-là encore le bâtiment n’est pas prêt...

En attendant, ce sont les nerfs des salariés des quatre hôpitaux à transférer qui lâchent. On assiste pendant toute cette période à une vaste vague de mélancolie et de démotivation avec désistements, prises de disponibilités et même recherche de travail ailleurs. Aujourd’hui, avec les premiers déménagements, les salariés ont de nouveau le moral.

Quelques inquiétudes se dessinent malgré tout à l’horizon de la rentrée : « Ils ont peur des conditions de travail qui les attendent raconte la CGT AP-HP. Car seules 2 400 personnes en tout seront transférées à l’HEGP, alors que les organisations syndicales s’accordent toutes depuis le début pour dire que ce n’est pas assez et pour demander l’augmentation des effectifs à 2 700 - 2 800. À 2 400, cela fonctionnera en flux tendu, inéluctablement et dangereusement... » Les déménagements des services techniques se sont passés sans heurts, tout est en rodage, les services s’adaptant doucement jusqu’à la rentrée à leurs nouveaux locaux. « Tant qu’il n’y aura pas trop de malades, continue la CGT, cela pourra aller. Mais dès que l’hôpital sera monté en charge, je pense, que le personnel craquera rapidement. Quant au fonctionnement technique, on découvrira certainement des problèmes peu à peu, mais rien de véritablement bloquant car tout a été verrouillé. »

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