La « route du fer »
 
Métabolisme du fer : des entrées, mais pas de sorties
La circulation du fer dans l’organisme utilise une série de protéines s’associant au fer et servant de transporteurs.
Le fer alimentaire, sous forme ferrique (Fe+++), est transformé en fer ferreux (Fe++) dans la lumière de l’intestin grêle proximal, puis entre dans l’entérocyte villositaire grâce à un premier transporteur (DMTI).
Le fer peut rester dans cette cellule sous forme de ferritine ou être réoxydé en fer ferrique et passer dans le plasma grâce à un second transporteur (IREGI ou ferriportine).
Dans le plasma, le fer est associé à la transferrine (ou sidérophiline) et se dirige à travers le système porte vers le foie, site principal de stockage, ou la moelle osseuse hématopoïétique, site principal d’utilisation. Le foie et la moelle osseuse captent le fer plasmatique associé à la transferrine à l’aide des récepteurs de cette protéine.
Le fer de l’hémoglobine des globules rouges sénescents est récupéré par les macrophages du système réticuloendothélial (rate surtout). Les macrophages peuvent stocker le fer sous forme de ferritine ou le sécréter dans le plasma, où il s’associe de nouveau à la transferrine.
Il n’y a pas d’élimination notable du fer autre que par les saignements (dont, chez la femme, l’hémorragie menstruelle). En conséquence, il est indispensable que l’absorption intestinale soit strictement limitée. La surcharge (hémochromatose) survient si ce n’est pas le cas. Le traitement d’une surcharge repose sur les saignées.
L’hémochromatose : une surcharge en fer d’origine génétique
L’hémochromatose héréditaire est la plus fréquente des surcharges en fer : liée à une hyperabsorption intestinale, elle atteint un Français sur 300. L’accumulation de fer touche notamment le foie (risque de cirrhose et de cancer du foie), le pancréas (diabète), et les systèmes cardiovasculaire e t ostéoarticulaire (arthropathies). Elle est associée dans environ 80 % des cas à la mutation du gène HFE : mutation C282Y (cystéine 282 remplacée par une tyrosine), ou parfois H63D (histidine 63 remplacée par un acide aspartique). HFE code pour une protéine de membrane cellulaire qui facilite l’entrée dans l’entérocyte du fer plasm atique et inhibe l’entrée du fer alimentaire.
Rappelons que l’entérocyte migre de la crypte où il naît, côté sanguin, vers la villosité saillant dans la lumière intestinale, où il mourra. Schématiquement, plus l’entérocyte de la crypte capte de fer dans le sang, moins il en absorbera dans l’alimentation lorsqu’il atteindra, cinq jours plus tard, la villosité. Ce mécanisme permet d’ajuster l’absorption du fer alimentaire à la concentration du fer plasmatique.
En l’absence d’HFE, l’entérocyte ne capte pas le fer circulant et en absorbe trop au stade villositaire. Cependant, la protéine HFE n’agit pas seule mais en association avec d’autres molécules. L e fonctionnement exact de cette régulation reste à élucider.
À côté de l’hémochromatose, les maladies de l’hémoglobine ( thalassémieset drépanocytose), touchent des millions de personnes dans le monde, s’accompagnent aussi de surcharges en fer, liées cette fois à l’hémolyse chronique.
Les carences en fer sont le plus souvent dues à des anémies (d’origine hémorragique, médullaire...). Mais d’autres carences en fer accompagnent diverses pathologies : cancéreuses (lymphomes, Hodgkin), inflammatoires chroniques (polyarthrite, lupus), infectieuses chroniques (foyers bactériens, paludisme, parasitoses intestinales, sida).
Responsables d’anémies secondaires dites inflammatoires, ces carences résultent d’un stockage accru dans les macrophages du système réticuloendothélial et/ou d’une malabsorption intestinale.
L’hepcidine : un antibactérien... contrôlant l’entrée du fer
Pour agir sur les anomalies du métabolisme du fer, il serait particulièrement utile de connaître des molécules susceptibles d’agir directement sur son absorption ou son stockage. Les travaux récents de deux équipes françaises (voir Sources) représentent une percée majeure dans cette direction : ils ont révélé que l’hepcidine, un peptide formé de 20 à 25 acides aminés, peut contrôler l’accumulation du fer.
Curieusement, ce peptide sécrété par le foie et excrété dans l’urine avait été initialement découvert du fait de ses propriétés antibactériennes et antifongiques à large spectre. D’où son nom : hep- pour hépatique et -cidine rappelant son activité anti-infectieuse.
L’hepcidine appartient à une famille de peptides antimicrobiens appelés défensines, produites par un grand nombre de plantes ou d’animaux (insectes, mollusques...).
Des chercheurs du CHRU Pontchaillou (Rennes) ont montré que, dans des situations d’inflammation et de surcharge en fer expérimentales chez la souris, le gène codant pour l’hepcidine était abondamment exprimé dans le foie, révélant l’implication de cette molécule dans la gestion du fer.
Les chercheurs de l’Institut Cochin (Paris) étudiaient quant à eux une souris déficiente pour le gène USF2, codant pour une protéine impliquée dans la réponse au glucose. Curieusement, les souris déficientes en USF2 présentaient une surcharge en fer rappelant l’hémochromatose. Une analyse plus détaillée a révélé que ces souris étaient aussi déficientes pour la production d’hepcidine, dont le gène est voisin de USF2 sur le chromosome 19.
L’hepcidine serait-elle une hormone hépatique agissant à distance sur les cellules intestinales absorbant le fer ?
« L’hepcidine est au fer ce que l’insuline est au glucose, le garant de la stabilité de son taux dans le sang », a proposé Axel Kahn, directeur de l’Institut Cochin. Pour confirmer cette hypothèse, Sophie Vaulont et son équipe ont étudié une souris transgénique ayant reçu une copie supplémentaire du gène de l’hepcidine et la produisant en excès dans le foie. Conformément aux prédictions, les souris transgéniques surexprimant l’ hepcidine souffraient d’une grave carence en fer : peau fripée pâle et glabre, anémie microcytaire et hypochrome, érythrocytes anormaux. La plupart des animaux sont morts quelques heures après leur naissance.
D’abord, confirmer ces découvertes chez l’homme
L’hepcidine joue donc un grand rôle dans la gestion des stocks de fer de l’organisme. Ces découvertes apportent un nouvel éclairage à certaines situations pathologiques et ouvrent des perspectives thérapeutiques.
Ainsi, les syndromes inflammatoires provoquent une hypersécrétion d’hepcidine par le foie. Cette hypersécrétion pourrait expliquer la séquestration du fer dans le système réticuloendothélial et le blocage de l’absorption intestinale. L’hepcidine pourrait donc jouer un rôle important dans les anémies inflammatoires. Les observations de l’Institut Cochin montrent qu’elle inhibe aussi le transport materno-foetal du fer.
Enfin, ses activités biologiques permettent d’envisager une prévention des surcharges en fer dans les dysérythropoïèses, les thalassémies...
Mais il faudra d’abord confirmer ces observations chez l’homme, chez lequel, pour l’instant, on n’a pas retrouvé d’anomalies génétiques du gène de l’hepcidine dans les situations de surcharge. Reste aussi à comprendre par quels mécanismes l’hepcidine règle le transport du fer à travers les barrières intestinales et placentaires, ainsi que dans le tissu réticulo-endothélial : comment interagit-elle avec les autres molécules qui contrôlent les réserves de fer, notamment HFE ?
A défaut d’être exploitable en thérapeutique dans l’immédiat, l’hepcidine est déjà un outil de recherche de très grande valeur.
Biologie -