Entre Loi et Prévention
 

En matière de prévention du tabagisme, l’entreprise a tout à gagner : elle préserve et améliore la santé de ses employés et de leur famille, mais elle réduit également les risques d’incidents et la perte de productivité liés au tabac. Rappelons tout de même qu’en France, le tabac est responsable de 60 000 décès annuels et, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), il tuera prématurément un fumeur sur deux. De récentes études ont par ailleurs montré que l’exposition au tabagisme passif augmentait de 25 % les risques d’accidents coronariens et de cancers du poumon. Dans une enquête nationale, 71 % des personnes interrogées se déclaraient gênées par la fumée des autres. 80 % des non-fumeurs comme 61 % des fumeurs se prononçaient en faveur du renforcement de la protection des non-fumeurs.

Incendies, explosions, absentéismes..

Outre ses effets sur la santé, le tabagisme est par ailleurs responsable d’un grand nombre d’incendies et d’explosions dont les conséquences humaines et matérielles sont souvent dévastatrices. On le crédite également de dépenses coûteuses pour la société et pour les entreprises en particulier. Différentes études avancent que le tabac serait la cause de 23 à 50 % des cas d’absentéisme pour des problèmes de santé au travail. Quant au nombre de pauses dont le fumeur à besoin, il constitue également une perte de productivité : le coût moyen d’un fumeur pour un employeur se monte à 600 dollars par an, selon les résultats d’une étude américaine.

La France est l’un des rares pays au monde à disposer d’un cadre réglementaire qui protège les non-fumeurs de la fumée des autres au travail. En effet, la loi Evin du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme stipule qu’il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif. Cette réglementation concerne autant les entreprises publiques que privées. Outre la protection des non-fumeurs, le cadre réglementaire contribue progressivement à la modification de ce qui était considéré comme acquis, à savoir pouvoir fumer partout quand on en a envie. Elle permet aux non-fumeurs de faire valoir leurs droits, sans pour autant être qualifiés de « trouble-fête » et permet aux fumeurs de réfléchir à leur propre tabagisme et d’envisager de s’arrêter dans un contexte favorable.

Évaluer l’acceptabilité de la loi Evin

Le programme Entreprise sans tabac de l’Office Français de prévention du Tabagisme (OFT) est mené en collaboration avec le médecin du travail et se décline en trois parties. La première concerne l’audit préalable. Dans ce cadre, un questionnaire est distribué est distribué à l’ensemble des salariés de l’entreprise. Il permet d’évaluer la population de fumeurs, d’apprécier l’acceptabilité des mesures prises pour appliquer la loi Evin et de recenser parmi les fumeurs ceux qui seraient intéressés par une aide à l’arrêt. En parallèle, une évaluation des conditions d’application de la loi Evin et des possibilités locales est menée en collaboration avec l’équipe chargée de suivre l’action dans l’entreprise.

La deuxième partie du programme se matérialise par l’organisation de conférences : un médecin tabacologue anime trois réunions d’information d’une durée de deux heures, chacune à un mois d’intervalle. Elles portent sur le tabagisme, ses conséquences sur la santé, quelques notions d’épidémiologie, la dépendance, et surtout les possibilités actuelles d’aide au sevrage.

La troisième et dernière partie se traduit concrètement par une assistance médicale sur le site de l’entreprise, dans un bureau mis à disposition du médecin chargé de la coordonner. Cette assistance est proposée aux salariés qui auront manifesté le souhait d’être aidé dans une démarche de sevrage. Elle comprend une réunion de groupe mensuelle, des consultations individuelles, dont les deux premières sont organisées à huit jours d’intervalle, puis les suivantes, deux fois par mois. Bien entendu, le médecin exerce cette assistance comme le restant des actes qu’il effectue en dehors de ce contrat, c’est-à-dire en garantissant le caractère confidentiel des consultations, conformément à son code de déontologie.

Sur le terrain, chez Coca-Cola

Une première action basée sur ce programme a été menée au siège social de la firme américaine Coca-Cola début juin 1999. Elle n’est pas terminée à ce jour car l’action se poursuit sur d’autres sites. Profitant d’un emménagement dans des bâtiments neufs, l’entreprise a décidé que les locaux seraient désormais totalement non fumeurs, en dehors de trois espaces correctement aménagés et ventilés. L’utilisation de téléphones mobiles permet de résoudre partiellement le problème des temps de pause-cigarette, source de conflit entre les salariés fumeurs et non fumeurs et de non-productivité pour l’entreprise : les salariés restent joignables sur leur portable pendant leur pause-cigarette et peuvent ainsi poursuivre leur activité dans les salles fumeurs. L’analyse du questionnaire montre que 82 % des fumeurs interrogés sont pour le respect de l’interdiction de fumer sur le lieu de travail, confortant ainsi les dirigeants dans leur démarche. En outre, ce questionnaire révèle que 9 fumeurs sur 10 se déclarent intéressés par une aide médicale au sevrage tabagique. Au final, une trentaine d’entre eux sera prise en charge par le programme et 50 % auront arrêté de fumer après six mois.

Une aide médicale très appréciée

Quels ont été les facteurs de cette réussite ? L’aménagement des locaux a été organisé en amont d’un changement de site de l’entreprise : les salles fumeurs ont pu être prévues avant l’arrivée des salariés ; un membre de l’équipe de direction était spécifiquement chargé de la mission « déménagement » et gérait entièrement le dossier « entreprise sans tabac ». Il a été un interlocuteur privilégié, très concerné par ce dossier, et il a pu diffuser régulièrement des informations sur le programme sans tabac dans la revue interne de l’entreprise, dédiée à l’organisation du changement de site.

De ce f ait, les salariés ont accepté beaucoup plus facilement les interdictions de fumer dans le cadre d’une réorganisation complète de leurs conditions de travail. Les conférences d’information ont nettement insisté sur la notion de dépendance, permettant de désamorcer les conflits entre fumeurs et nonfumeurs, et de décliner les possibilités d’aide à l’arrêt, renforçant ainsi la confiance des fumeurs. L’association du soutien à l’arrêt du tabac, proposée par la direction, combinée à l’interdiction de fumer, a permis une meilleure acceptabilité des mesures prises. Quant à l’aide médicale sur le site même de l’entreprise, elle a été très appréciée des salariés motivés pour un arrêt. Un grand nombre d’entre eux avouent que l’interdiction de fumer dans l’entreprise, d’une part, et la proposition d’une aide sur leur lieu de travail, d’autre part, ont « précipité » leur prise de décision. L’entreprise a également servi de lieu de thérapie de groupe ; entre deux consultations, les fumeurs inscrits dans le programme se sont soutenus et aidés dans leur démarche d’arrêt. L’exemple des premiers sevrés a permis aux plus timorés de prendre confiance en eux et de s’inscrire à leur tour dans le programme. Ceci a été rendu possible grâce à une prolongation de la durée du projet, prévu à l’origine pour trois mois, et qui, en fait, dure depuis deux ans.

Savoir faire évoluer les programmes

En dehors d’un contexte de changement de site, la modification du comportement semble plus difficile à accepter pour les salariés. Quant à transformer un bureau où l’on a toujours fumé en espace sans tabac, cela nécessite une mobilisation en amont avec un effet d’annonce et une sensibilisation.

On a vu que l’action durable dans le temps est bénéfique, mais entraîne en même temps une banalisation de l’action qui perd son caractère novateur. Dans l’exemple cité, l’effet positif du déménagement a fini par s’épuiser. D’une part, le journal interne dédié au déménagement qui diffusait des informations régulières sur le programme sans tabac a cessé de paraître. D’autre part, le cadre chargé du programme a changé de mission, et la dernière conférence organisée dans l’entreprise à l’occasion de la journée mondiale sans tabac a été un échec puisque seulement un salarié non fumeur est venu y assister. Quant à l’équipe interne chargée du programme, elle a changé et s’est donc progressivement désinvestie.

Cette expérience souligne donc la nécessité d’une volonté intense et durable des dirigeants de l’entreprise, et d’une communication renouvelée dans le temps. Pour les acteurs de santé publique et de prévention du tabagisme, le défi sera donc de savoir faire évoluer les programmes se soutien aux entreprises. Et pour que le concept d’entreprise sans tabac se généralise, il sera nécessaire de mettre en place des stratégies globales, à l’instar de celles employées par le réseau l’Hôpital sans tabac, et dont les deux éléments clés se traduiront par le respect de l’interdiction de fumer et une aide à l’arrêt du tabac, afin de soutenir le personnel dans sa démarche.

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